BAUDELAIRE - Faut-il exclure de l'art la laideur, la souffrance, et l’immoralité ? Les Fleurs du mal
Description
Baudelaire a écrit : « J'ai pétri de la boue et j'en ai fait de l'or ». Et par ailleurs on trouve aussi la formule suivante : « Tu m’as donné ta boue, et j’en ai fait de l’or » (ébauche d'épilogue pour la 2ème édition des Fleurs du mal). La première formulation est plus générale, puisque dans la deuxième citation, le poète s’adresse plus spécifiquement à la ville de Paris, alors que dans la première citation il décrit l’activité artistique en général, s’appliquant à tout ce qui peut être désigné métaphoriquement comme de la boue, c’est-à-dire l’ensemble des aspects du réel qui nous repousse, voire qui nous heurte. Il s’agit à la fois de la laideur dans un sens physique (ce que l’on perçoit comme étant laid), mais aussi de la laideur dans un sens moral, ce qui peut avoir plusieurs sens. En effet, le terme « moral » désigne d’un côté ce qui concerne le bien et le mal, ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, et d’un côté ce qui est psychologique par opposition à ce qui est physique. Ainsi la laideur morale inclut à la fois l’immoralité, ce que Baudelaire appelle la « perversité », mais aussi la souffrance psychologique, le mal-être, ou encore le spleen. Pourquoi faudrait-il représenter dans l’art, quand on vise le beau, des choses laides, douloureuses, ou immorales ? On peut trouver la réponse à cette question à la fois dans les Fleurs du mal de Baudelaire, mais également dans ses écrits sur la littérature et dans ses écrits sur l'art. Voici le lien pour accéder au tableau thématique (il n'est pas encore terminé) : https://docs.google.com/spreadsheets/d/1IxabOVha12uqvWSYxNrgzKbZbumBiDROwjYf3zFdxxI/edit?usp=sharing Quelques citations importantes : « Jusque vers un point assez avancé des temps modernes, l’art, poésie et musique surtout, n’a eu pour but que d’enchanter l’esprit en lui présentant des tableaux de béatitude, faisant contraste avec l’horrible vie de contention et de lutte dans laquelle nous sommes plongés. [la contention, c’est ici le faire de devoir en permanence faire des efforts douloureux, notamment intellectuels, il s’agit d’une tension des facultés intellectuelles pour atteindre nos buts] Beethoven a commencé à remuer les mondes de mélancolie et de désespoir incurable amassés comme des nuages dans le ciel intérieur de l’homme. Maturin dans le roman, Byron dans la poésie, Poe dans la poésie et le roman analytique […] ont admirablement exprimé la partie blasphématoire de la passion ; ils ont projeté des rayons splendides, éblouissants, sur le Lucifer latent qui est installé dans tout cœur humain. Je veux dire que l’art moderne a une tendance essentiellement démoniaque. Et il semble que cette part infernale de l’homme, que l’homme prend plaisir à s’expliquer à lui-même, augmente journellement […]. Mais Théodore de Banville refuse de se pencher sur ces marécages de sang, sur ces abîmes de boue. Comme l’art antique, il n’exprime que ce qui est beau, joyeux, noble, grand, rythmique. Aussi, dans ses œuvres, vous n’entendrez pas les dissonances, les discordances des musiques du sabbat [le « sabbat » ici désigne l’assemblée nocturne et bruyante de sorciers et sorcières au Moyen Âge], non plus que les glapissements de l’ironie, cette vengeance du vaincu. Dans ses vers, tout a un air de fête et d’innocence, même la volupté. […] En pleine atmosphère satanique ou romantique, au milieu d’un concert d’imprécations [c’est-à-dire de plaintes, les artistes modernes s’attachant à dépeindre le malheur, le désespoir], il a l’audace de chanter la bonté des dieux et d’être un parfait classique. » (Baudelaire, article sur Théodore de Banville, 1861) « Celui qui n’est pas capable de tout peindre, les palais et les masures, les sentiments de tendresse et ceux de cruauté, […] tout ce qu’il y a de plus doux et tout ce qui existe de plus horrible […] tout enfin, depuis le visible jusqu’à l’invisible, depuis le ciel jusqu’à l’enfer, celui-là, dis-je, n’est vraiment pas poète dans l’immense étendue du mot ». (Baudelaire, article sur Victor Hugo, 1861, Ecrits sur la littérature). « Je ne prétends pas que la Joie ne puisse pas s’associer avec la Beauté, mais je dis que la Joie en est un des ornements les plus vulgaires, tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire l’illustre compagne, à ce point que je ne conçois guère [...] un type de Beauté où il n’y ait du Malheur. » (Baudelaire, Fusées) 00:00 La boue et l’or 02:12 L’objectif de l’art : le beau 03:33 L’esthétique de la beauté morale 05:48 Le « classicisme » 06:38 Quelques poèmes heureux 08:48 La notion d’ « idéal » 10:40 Insuffisance de l’esthétique de la beauté morale 11:40 Victor Hugo, préface de Cromwell 13:16 Ambiguïté des poèmes heureux 14:26 La beauté et le « mal » 16:01 Vers la vidéo 2 : l’immoralité